Vingt-neuf

Eh bien, songea-t-elle, assise seule à la table de salle à manger, victime supposée des horreurs qui se sont produites dans cette maison, j’appartiens maintenant à cette catégorie de femmes qui tombent dans les bras d’un homme et le laissent s’occuper de tout.

Mais comme Michael était beau en pleine action ! Il avait appelé Ryan Mayfair, la police et Lonigan et Fils. Il avait parlé aux policiers en civil dans le langage qu’ils comprenaient. Si quelqu’un avait remarqué ses gants noirs, personne n’avait fait de réflexion. Probablement parce qu’il parlait si vite, fournissant les explications qui s’imposaient, accélérant le rythme pour que l’on en arrive vite aux conclusions.

— Elle est simplement venue ici et n’a aucune idée de l’identité du cadavre de la mansarde. La vieille femme ne lui a rien dit. Et elle est sous le choc maintenant. La vieille femme est morte juste là, dehors. Le corps de la mansarde est là depuis longtemps et je vous demande de ne rien déranger dans la pièce. Emportez les restes. Elle veut savoir autant que vous qui était cet homme. Tenez, voilà Ryan Mayfair. Ryan, Rowan est dans la pièce d’à côté. Elle est dans tous ses états. Avant sa mort, Carlotta lui a montré un cadavre en haut.

— Un cadavre ? Vous êtes sérieux ?

— Ils doivent l’emmener. Pourriez-vous monter avec Pierce pour vérifier qu’ils ne touchent à rien d’autre ? Rowan est là-bas. Elle est exténuée. Elle pourra parler un peu plus tard dans la matinée.

Même envers la vieille Eugenia, Michael s’était montré très protecteur. Il avait passé son bras autour de ses épaules et l’avait accompagnée pour voir « la vieille Mlle Carl » avant que Lonigan n’enlève le corps du fauteuil à bascule. La pauvre Eugenia avait pleuré en silence. « Voulez-vous que j’appelle quelqu’un ? Vous ne voulez pas rester seule cette nuit dans cette maison, n’est-ce pas ? Dites-moi ce que vous voulez faire. Je peux faire venir quelqu’un pour rester auprès de vous. »

Avec Lonigan, son vieil ami, tout s’était passé à merveille. Michael avait soudain perdu tout accent californien et parlait exactement comme Jerry, et comme Rita, qui était venue avec lui dans le fourgon. Ils étaient de vieux amis. Jerry avait bu de la bière avec le père de Michael sur le perron de sa maison trente-cinq ans auparavant et Rita était aussi sortie avec Michael à l’époque d’Elvis Presley. Elle se jeta au cou de Michael : « Michael Curry ! »

Errant dans la maison, Rowan les avait regardés à la lueur des gyrophares de la police. Pierce téléphonait dans la bibliothèque. Elle n’avait même pas encore visité cette pièce. Une faible lumière électrique l’éclairait, illuminant les objets en cuir et le tapis chinois.

— … eh bien, Mike, disait Lonigan, il faut que tu dises au docteur Mayfair que cette femme avait quatre-vingt-dix ans et qu’elle ne se maintenait en vie que pour Deirdre. Nous savions qu’elle ne lui survivrait pas longtemps. Le docteur Mayfair n’a rien à se reprocher, Mike, elle est médecin mais elle ne peut pas faire de miracles.

Ah non ? se dit Rowan.

— Mike Curry ? Vous êtes le fils de Tim Curry ? s’exclama le policier en uniforme. C’est ce qu’on m’a dit. Mon père et le vôtre étaient cousins éloignés, vous savez ? Ils se connaissaient très bien. Ils buvaient de la bière ensemble chez Corona.

Le cadavre de la mansarde, ensaché et étiqueté, fut enfin emporté et le petit corps desséché de Carlotta fut allongé sur une civière, comme si elle était encore vivante, et porté dans le fourgon mortuaire. Peut-être serait-il couché sur la même table d’embaumement que celui de Deirdre la veille ?

Pas de veillée mortuaire, pas de cérémonie d’enterrement, rien du tout, avait dit Ryan. Elle lui en avait donné l’ordre la veille. Elle l’avait aussi dit à Lonigan.

— Il y aura une messe de requiem dans une semaine, précisa Ryan, vous serez toujours là ?

Où irais-je et pourquoi ? J’ai trouvé le lieu auquel j’appartiens. Cette maison. Je suis une sorcière. Je suis une meurtrière. Et, cette fois, je l’ai fait volontairement.

Retournant dans la salle à manger, elle entendit le jeune Pierce, du seuil de la bibliothèque.

— Elle n’a pas l’intention de passer la nuit ici, n’est-ce pas ?

— Non, nous retournons à l’hôtel, répondit Michael.

— Il ne faut pas qu’elle reste seule. Cette maison est très angoissante. Me croirez-vous si je vous dis que quand je suis entré dans la bibliothèque il y avait un portrait au-dessus de la cheminée et que maintenant il y a un miroir ?

— Pierce ! jeta Ryan sur un ton de reproche.

— Désolé, Papa, mais…

— Pas maintenant, mon fils, s’il te plaît.

— Je vous crois, le rassura Michael avec un petit rire. Je resterai avec elle.

— Rowan ?

Ryan s’approcha doucement d’elle, la pauvre orpheline, la victime, alors qu’elle était la coupable. Agatha Christie aurait tout-compris, elle.

— Oui, Ryan.

Il s’assit à la table, en prenant soin de ne pas effleurer sa surface poussiéreuse avec la manche de son costume impeccablement coupé. Sa tenue d’enterrement. La lumière frappait son visage, ses yeux bleus étaient froids et bien plus clairs que ceux de Michael.

— Vous savez que cette maison est la vôtre.

— Elle me l’a dit.

— Mais ce n’est pas tout.

— Privilèges, hypothèques ?

Il secoua la tête.

— Non, vous n’avez aucun souci à vous faire du côté financier, et jusqu’à la fin de vos jours. Venez me voir au bureau dès que vous voudrez, je vous expliquerai tout cela.

— Seigneur ! dit Pierce, c’est l’émeraude ? (Il venait d’apercevoir l’écrin à l’autre extrémité de la table.) Et tous ces gens qui vont et viennent !

Son père lui adressa un regard entendu et patient.

— Personne ne va la voler, mon fils, soupira-t-il.

Il jeta un regard inquiet à Rowan, prit l’écrin et le contempla comme s’il ne savait pas quoi en faire.

— Qu’y a-t-il ? demanda Rowan.

— Elle vous en a parlé ?

— Quelqu’un vous en a parlé, à vous ? demanda-t-elle calmement.

— C’est toute une histoire, répondit-il avec un petit sourire forcé.

Il posa l’écrin devant elle et le tapota avant de se lever.

— Qui était l’homme dans la mansarde, ils le savent ? interrogea-t-elle.

— Ils ne tarderont pas à le savoir. Il avait un passeport et des papiers. Ce qu’il en restait, du moins.

— Où est Michael ? demanda-t-elle.

— Je suis là, mon ange. Tu veux que je te laisse seule ?

Dans le noir, ses mains gantées étaient presque invisibles.

— Je suis fatiguée. Si nous rentrions ? Ryan, je peux vous appeler demain ?

— Quand vous voudrez, Rowan.

Ryan et Pierce embrassèrent Rowan sur la joue. Comme ils ont embrassé ma mère, songea-t-elle. Puis elle se rendit compte que c’était le contraire. Ils embrassaient les morts comme ils embrassaient les vivants.

Des mains chaudes, le sourire de Pierce dans la pénombre. Demain, téléphone, déjeuner, discuter, etc.

Le bruit de l’ascenseur dans sa descente aux enfers. Dans les films, les gens vont en enfer en ascenseur.

— Vous avez votre clé, Eugenia. Revenez demain. Faites selon votre habitude. Vous avez besoin d’argent ?

— J’ai été payée, monsieur Mike. Merci, monsieur Mike.

Le policier plus âgé revint. Il devait être sur le pas de la porte d’entrée car on l’entendait mal.

— Oui, Townsend … Passeport, portefeuille, tout est là.

Portes refermées. Obscurité. Calme.

Michael revint.

La maison était vide. Ils n’étaient plus que tous les deux. Il s’était arrêté sur le seuil de la salle à manger et l’observait.

Silence. Il prit une cigarette et enfouit le paquet dans sa poche. Ce ne devait pas être pratique avec ses gants, mais il y arrivait sans problème.

— Qu’est-ce que tu en dis ? demanda-t-il. Sortons d’ici.

Il tassa sa cigarette sur le verre de sa montre. Une allumette s’enflamma. La lueur éclaira un instant ses yeux bleus, la salle à manger et les fresques murales.

Il y a yeux bleus et yeux bleus. Était-il possible que ses cheveux aient poussé si vite en si peu de temps ? Ou était-ce juste l’humidité de l’air chaud qui les rendait si épais et bouclés ?

Le silence résonnait à ses oreilles. Tout le monde était parti.

La place était libre, avec tous ses tiroirs, ses placards, ses bocaux et ses boîtes. Mais l’idée de toucher à quoi que ce soit répugnait Rowan. Tout cela ne lui appartenait pas. C’était à la vieille femme. C’était humide, froid, pourri comme elle. Et Rowan n’avait pas envie de bouger, de remonter l’escalier ou d’inspecter quoi que ce soit.

— Il s’appelait Townsend ? demanda-t-elle.

— Oui. Stuart Townsend.

— Qui diable était-il ? Ils le savent ?

Michael réfléchit un moment, enleva un morceau de tabac de sa lèvre et fit passer le poids de son corps sur son autre jambe. La virilité à l’état pur, songea Rowan. C’était presque pornographique.

— Je sais qui il était, poursuivit Michael en soupirant. Aaron Lightner, tu te souviens de lui ? Il sait tout sur lui.

— Mais de quoi parles-tu ?

— Tu veux qu’on parle ici ? (Ses yeux explorèrent le plafond.) J’ai la voiture d’Aaron. Nous pourrions rentrer à l’hôtel ou aller quelque part en ville.

Ses yeux apprécièrent la moulure en plâtre du plafond et le lustre. Il y avait quelque chose de furtif et de coupable dans sa façon d’admirer les lieux dans un moment pareil. Mais il n’avait rien à lui cacher.

— C’est cette maison, n’est-ce pas ? Celle dont tu m’as parlé en Californie ?

Il posa ses yeux sur elle.

— Oui, c’est celle-là. (Il eut un petit sourire triste et hocha la tête.) C’est bien elle.

Il fit tomber la cendre de sa cigarette dans la paume de sa main puis se dirigea lentement vers la cheminée. Le lourd mouvement de ses hanches, celui de sa grosse ceinture de cuir étaient très érotiques. Elle le regarda jeter les cendres dans l’âtre vide. Il aurait aussi bien pu les jeter par terre, vu l’état du sol cela n’aurait pas changé grand-chose.

— Tu dis que M. Lightner sait qui était cet homme ?

Il eut l’air mal à l’aise. Très sexy et très mal à l’aise. Il tira une bouffée de sa cigarette.

— Lightner appartient à une organisation, dit-il en sortant une carte de sa poche de chemise. (Il la posa sur la table.) Ils appellent cela un ordre. Comme un ordre religieux mais cela n’a rien de religieux. C’est le Talamasca.

Rowan frémit.

— J’ai déjà vu cette carte. Il m’en a donné une en Californie. Il t’a dit que nous nous étions rencontrés en Californie ?

Michael hocha la tête.

— Sur la tombe d’Ellie, dit-il.

— Mais comment se fait-il que vous soyez amis et qu’il connaisse le type de la mansarde ? Je suis fatiguée, Michael. J’ai l’impression que je pourrais me mettre à crier sans plus jamais pouvoir m’arrêter. Si tu ne me dis pas… (Elle s’interrompit et baissa les yeux sur la table, pleine de désespoir.) Je ne sais plus ce que je dis.

— Cet homme, Townsend, était un membre de l’ordre. Il est venu ici en 1929 pour établir un contact avec la famille Mayfair.

— Pourquoi ?

— Ils observent cette famille depuis trois cents ans. Tu vas avoir du mal à comprendre tout ce que je vais te raconter…

— Et, comme par hasard, cet homme est ton ami ?

— Non, attends ! Il n’y a aucune coïncidence là-dedans. Je l’ai rencontré devant cette maison le soir de mon arrivée. Je l’avais déjà vu à San Francisco. Tu te rappelles ? Le soir où tu es venue me chercher chez moi. Nous pensions tous les deux qu’il était journaliste. Je ne lui avais jamais parlé et je ne l’avais jamais vu avant.

— Je m’en souviens.

— Le soir de mon arrivée ici, il était devant la maison. J’étais complètement soûl. J’avais bu dans l’avion. Je sais, je n’ai pas tenu la promesse que je t’avais faite. Je suis venu ici et j’ai vu… l’autre homme dans le jardin. Mais ce n’était pas vraiment un être humain. J’ai cru que si, au début. Mais j’avais déjà vu ce type quand j’étais petit. Chaque fois que je passais devant la maison. Je t’en ai parlé, tu te rappelles ? Eh bien, il faut que je t’explique que… ce n’est pas un homme réel.

— Je sais. Je l’ai vu. (Une décharge électrique la traversa.) Continue à parler. Je te raconterai quand tu auras fini.

Il la regarda anxieusement. Il était frustré, inquiet. Il s’appuya sur le manteau de la cheminée et examina la jeune femme, son visage à demi éclairé par la lumière du couloir. Elle se sentit submergée par une grande tendresse pour cet homme protecteur à la voix si douce, qui semblait tellement craindre de la blesser.

— Raconte-moi le reste, dit-elle. J’ai des choses terribles à te dire. Tu es le seul à qui je puisse me confier. Alors raconte-moi d’abord ce que tu sais, cela me facilitera les choses. Je ne savais pas comment te dire que j’avais vu cet homme. C’était après ton départ, sur la terrasse, à Tiburon. Je l’ai vu juste au moment où ma mère est morte à La Nouvelle-Orléans. Mais je ne savais pas qu’elle était morte. Je ne savais encore rien d’elle.

Il acquiesça d’un signe de tête mais se sentait toujours gêné.

— Si je ne peux pas te faire confiance à toi, je ne parlerai à personne, reprit-elle. Dis-moi tout ce que tu sais. Dis-moi pourquoi cet Aaron Lightner a été si gentil avec moi cet après-midi, aux funérailles, quand tu n’étais pas là. Je veux savoir qui il est et comment tu l’as connu. Ai-je le droit de te poser cette question ?

— Ma chérie, tu peux me faire confiance. Ne te fâche pas contre moi, s’il te plaît.

— Oh, ne t’inquiète pas ! Il faut plus qu’une querelle d’amoureux pour que je te foudroie du regard et que tu tombes raide mort.

— Rowan, ce n’est pas ce que je…

— Je sais, je sais, murmura-t-elle. Mais tu sais que j’ai tué cette vieille femme. (Il fit un petit geste d’impuissance et hocha la tête.) Tu sais que je l’ai fait. Tu es le seul à savoir. (Puis un soupçon terrible lui vint à l’esprit.) Tu as dit à Lightner ce que je t’ai dit ? Ce que je peux faire ?

— Non, protesta-t-il, l’implorant silencieusement de la croire. Non, mais il est au courant, Rowan.

— Au courant de quoi ?

Il ne répondit pas tout de suite. Il haussa les épaules, sortit pensivement une autre cigarette et sa boîte d’allumettes.

— Je ne sais pas par où commencer, avoua-t-il. Par le commencement, sans doute, (il souffla une bouffée de fumée et reposa son coude sur le manteau de la cheminée.) Je t’aime. Vraiment. Je ne sais pas comment cela s’est produit. J’ai un tas de soupçons et j’ai peur. Mais je t’aime. Si cela était voulu, je veux dire prédestiné, je suis un homme perdu. Perdu car je n’accepte pas qu’on décide pour moi. Mais je ne veux pas renoncer à notre amour. Peu importe ce qui va se passer. Tu as entendu ce que j’ai dit ?

Elle hocha la tête.

— Il faut tout me dire sur ces gens, dit-elle.

Au fond d’elle-même, elle dit aussi : Sais-tu à quel point je t’aime et je te désire ?

Michael attrapa une chaise placée contre un mur, la retourna et s’assit à califourchon en face de Rowan en croisant les bras sur le dossier du siège.

— Ces deux derniers jours, dit-il, je suis resté enfermé dans une maison à une centaine de kilomètres d’ici et j’ai lu l’histoire des Mayfair que ces gens ont reconstituée.

— Le Talamasca ?

Il acquiesça.

— Il y a trois cents ans vivait un homme s’appelant Petyr Van Abel. Son père avait été un illustre chirurgien de l’université de Leiden en Hollande. Il existe encore des livres écrits par ce médecin, Jan Van Abel.

— Je le connais. C’était un anatomiste.

Il lui sourit.

— Eh bien, il est ton ancêtre, mon ange. Tu ressembles à son fils. C’est du moins ce que dit Aaron. A la mort de Jan Van Abel, Petyr s’est retrouvé orphelin et est devenu membre du Talamasca. Il savait lire dans les pensées et voyait des fantômes. Il était ce que d’autres auraient appelé un sorcier mais le Talamasca l’a recueilli pour le protéger. Finalement, il s’est mis à travailler pour eux. Un aspect de son travail consistait à sauver des gens accusés de sorcellerie dans d’autres pays. Ce Petyr Van Abel est allé un jour en Ecosse pour essayer d’intervenir dans le procès d’une sorcière appelée Suzanne Mayfair. Mais il est arrivé trop tard et la seule chose qu’il a pu faire qui s’est révélée capitale, en fin de compte a été d’emmener la fille de la sorcière, Deborah, loin de cette ville afin de lui éviter le même sort que sa mère : le bûcher. Mais avant de la sauver, il a vu cet homme, cet esprit. Et il a constaté que la petite Deborah l’avait vu aussi. Il en a déduit que c’était elle qui le faisait apparaître, ce qui s’est révélé exact. Deborah n’est pas restée longtemps avec l’ordre, en Hollande. Elle a réussi à séduire Petyr et a eu de lui, à son insu, une fille, Charlotte. Charlotte est partie pour le Nouveau Monde et c’est elle qui a fondé la famille Mayfair. Depuis lors, tous les Mayfair sont des descendants de Charlotte. Et à chaque génération, jusqu’à aujourd’hui, au moins une femme a hérité des pouvoirs de Suzanne et Deborah. C’est-à-dire, entre autres, la faculté de voir cet homme aux cheveux bruns, cet esprit. Elles sont ce que le Talamasca appelle les sorcières Mayfair.

Rowan émit un petit son mi-amusé, mi-nerveux. Elle se redressa sur sa chaise et observa les petits changements visibles sur le visage de Michael tandis qu’il triait dans son esprit ce qu’il allait dire.

— Les gens du Talamasca, reprit-il en choisissant ses mots avec soin, sont des érudits, des historiens. Ils possèdent des milliers de témoignages sur les visions de cet homme aux cheveux bruns, dans cette maison et tout autour. Il y a trois cents ans, quand Petyr Van Abel s’est rendu à Saint-Domingue pour parler à sa fille Charlotte, cet esprit l’a rendu fou et l’a conduit à la mort. (Il tira sur sa cigarette, en jetant un regard circulaire sur la pièce, mais sans la voir.) Comme je te l’ai expliqué, j’ai vu cet homme plusieurs fois depuis l’âge de six ans. Chaque fois que je passais devant la maison mais, en plus, contrairement à tous les gens interrogés par le Talamasca au fil des ans, je l’ai vu aussi ailleurs. L’autre nuit, quand je suis revenu après toutes ces années, je l’ai revu. Quand j’ai raconté ça à Aaron, quand je lui ai dit que je voyais cet homme depuis que j’étais haut comme trois pommes et que c’était toi qui m’avais sauvé, il m’a remis le dossier du Talamasca sur les sorcières Mayfair.

— Il ne savait pas que c’était moi qui t’avais sorti de l’océan ?

Michael hocha la tête.

— Il est venu me voir à San Francisco à cause de mes mains. Leur domaine, ce sont les gens qui ont des pouvoirs spéciaux. C’était de la routine pour lui, il voulait me rencontrer, un peu comme Petyr Van Abel voulait intervenir pour empêcher l’exécution de Suzanne Mayfair. Et puis il t’a vue devant chez moi. Il t’a vue passer me prendre et tu sais ce qu’il a cru ? Il a cru que tu m’avais engagé pour que je vienne ici, à La Nouvelle-Orléans, en tant que médium, pour explorer ton passé. (Il lira la dernière bouffée de sa cigarette et envoya le mégot dans l’âtre.) C’est ce qu’il a cru jusqu’à ce que je lui dise pourquoi tu étais venue me voir, que tu n’avais jamais vu cette maison, pas même en photo. Et ce que tu dois faire maintenant, c’est lire le dossier des sorcières Mayfair. Mais il y a autre chose… en ce qui me concerne.

— Les visions ?

— Exactement. (Il sourit. Son visage était chaleureux et magnifique.) Tu te souviens quand je t’ai dit que j’avais vu une femme et un bijou… ?

— Ce serait l’émeraude ?

— Je ne sais pas, Rowan. Je ne sais pas et, en même temps, je sais. Je suis convaincu que cette femme était Deborah Mayfair, qu’elle portait l’émeraude autour du cou et que j’ai été envoyé ici pour faire quelque chose de précis.

— Combattre cet esprit ?

Il secoua la tête.

— C’est plus compliqué. C’est pourquoi tu dois lire le dossier. Il le faut. Tu ne dois pas te sentir offensée qu’un tel dossier existe.

— Et qu’est-ce que le Talamasca retire de tout ça ?

— Rien, répondit-il. Savoir, c’est tout ce qu’ils veulent. Ils aimeraient comprendre. En quelque sorte, ils sont des détectives du monde parapsychique.

— Et monstrueusement riches, je suppose.

— Oui, bourrés d’argent.

— Tu plaisantes ?

— Non, ils ont autant d’argent que toi. Autant que toute l’Église catholique, que le Vatican. Ne te méprends pas. Ils n’ont aucune intention de te soutirer quoi que ce soit…

— Je veux bien le croire. Mais tu es si naïf, Michael. Vraiment.

— Pourquoi dis-tu ça, Rowan ? Qu’est-ce qui t’a mis ça dans la tête ? Tu me l’as déjà dit et ça me rend complètement dingue !

— Michael, tu es un grand naïf. Mais, dis-moi, tu crois toujours que les gens de tes visions étaient bons ? Qu’ils sont des êtres supérieurs ?

— Oui, je le crois.

— Cette femme aux cheveux noirs, cette sorcière condamnée qui portait un bijou et qui t’a fait tomber de la falaise, tu la crois toujours bonne ?

— Rowan, ne tire pas de conclusion hâtive ! Rien ne prouve que tout cela soit lié ! Tout ce que je sais…

— Tu as vu cet homme-esprit depuis l’âge de six ans ? Je vais te dire quelque chose, Michael. Cet homme n’est pas bon. Et cette femme aux cheveux noirs n’est pas bonne non plus.

— Rowan, il est un peu tôt pour faire ce genre d’interprétation.

— D’accord. Je ne veux pas te rendre fou. Pas plus que je ne veux te mettre en colère. Je suis si heureuse que tu sois là, avec moi, dans cette maison et que tu comprennes tout cela… Je suis contente de ne pas être seule et je veux que tu restes auprès de moi.

— Je sais.

— Mais, toi, ne fais pas non plus d’interprétations hâtives. Le mal est ici. Je le sens aussi fort que celui qui est en moi. C’est quelque chose qui pourrait nuire à beaucoup de gens. Encore plus que par le passé. Et toi, tu serais le preux chevalier, sans peur et sans reproche, qui viendrait de passer le pont-levis sur son fier destrier ?

— Rowan, ne parle pas comme ça !

— D’accord ! Ils ne t’ont pas fait noyer. Mais le fait que tu connaisses tous ces gens, Rita Mae et Jerry Lonigan, serait un pur hasard ?

Elle posa ses coudes sur la table et enfouit sa tête dans ses mains. Elle n’avait aucune idée de l’heure. La nuit semblait plus calme que jamais. De temps à autre, on entendait quelques légers craquements dans la maison. Mais ils étaient seuls. Complètement seuls.

— Tu sais, dit-elle, quand je repense à cette vieille femme, je pense tout de suite au mal. Et elle était persuadée de représenter le bien. Elle croyait combattre le diable. La notion du bien et du mal était très confuse chez elle.

— Elle a tué Townsend, dit Michael.

Elle leva les yeux et le fixa.

— Tu en es sûr ?

— J’ai posé mes mains sur lui. J’ai senti l’os. C’est elle qui a fait ça. Elle l’a ficelé dans ce tapis. Il était peut-être drogué, je l’ignore. Mais il est mort dans le tapis, je le sais. Il y a fait un trou avec ses dents.

— Mon Dieu ! murmura Rowan.

Elle ferma les yeux, imaginant la scène.

— Et il y avait des gens dans la maison. Ils n’ont rien entendu. Ils ne savaient pas qu’il était en train d’agoniser là-haut. Ou, en tout cas, s’ils le savaient, ils n’ont rien fait.

— Et pourquoi aurait-elle fait une chose pareille ?

— Parce qu’elle nous détestait. Je veux dire, le Talamasca.

— Pourquoi dis-tu « nous » ?

— C’est un lapsus, mais très révélateur. J’ai l’impression d’être des leurs. En venant me voir, ils me l’ont plus ou moins demandé. Ils se sont confiés à moi. Ce que j’ai voulu dire, c’est qu’elle haïssait tous les gens du dehors qui savaient quelque chose. Aaron est en danger. Tu m’as demandé ce que le Talamasca avait à retirer de tout ça. Moi je dis qu’il risque de perdre un autre membre.

— Explique-toi.

— En rentrant de l’enterrement pour passer me prendre, Aaron a vu un homme devant lui sur la route. En voulant l’éviter, il a fait deux tonneaux et a réussi à sortir de la voiture avant qu’elle n’explose. C’était l’esprit. Je le sais et lui aussi.

— Il est blessé ?

Michael secoua la tête.

— Il savait très bien ce qui se passait mais il ne pouvait pas prendre de risques. Imagine que l’homme sur la route soit vraiment un quelconque piéton… Il s’est violemment heurté la tête.

— On l’a emmené à l’hôpital ?

— Oui, docteur. Il va bien. C’est à cause de ça que j’ai mis si longtemps à venir. Il ne voulait pas que je vienne. Il voulait que ce soit toi qui viennes, dans leur maison à la campagne, pour lire le dossier. Mais je suis venu quand même. Je savais que cette créature ne me tuerait pas. Je n’ai pas encore rempli ma mission.

— Ils veulent que tu brises la chaîne, dit Rowan. C’est ce que la vieille femme voulait dire. « Brise la chaîne ! » Elle parlait de l’héritage qui vient de Charlotte, je suppose, bien qu’elle n’ait parlé de personne qui remonterait aussi loin. Elle m’a dit avoir tenté elle-même de briser cette fameuse chaîne et que moi je pouvais le faire.

— Ça, c’est évident mais il y a autre chose. Pourquoi s’est-il montré à moi ?

— Bon, écoute-moi. Je vais lire le dossier. Sans sauter une seule page, je te le promets. Mais j’ai vu cette créature, moi aussi. Elle ne fait pas qu’apparaître, elle se matérialise aussi.

— Quand l’as-tu vue ?

— La nuit de la mort de ma mère, je te l’ai dit. A l’heure même de sa mort. J’ai essayé de t’appeler. J’ai téléphoné à l’hôtel mais tu n’y étais pas. Je crevais de trouille. Mais il n’y a pas eu que l’apparition. La mer était si démontée que la maison bougeait sur ses pilotis. Et pourtant, je me suis renseignée, il n’y a eu cette nuit-là dans la baie de Richardson ou de San Francisco aucune tempête, aucun tremblement de terre ni quoi que ce soit de naturel. Mais il y a plus encore. La fois suivante, il m’a touchée.

— Quand ?

— Dans l’avion. J’ai cru que c’était un rêve. Après, j’étais tout irritée, comme si…

— Tu veux dire que…

— Je croyais être en train de dormir. Mais ce que j’essaie de te faire comprendre, c’est qu’il ne se limite pas à des apparitions. Il a un côté physique très particulier. Il faut que j’en comprenne les paramètres.

— Eh bien, voilà une attitude scientifique très louable. Puis-je me permettre de te demander si ses caresses ont provoqué en toi une réaction, disons… moins scientifique ?

— Bien sûr. C’était agréable parce que j’étais à demi endormie. Mais quand je me suis réveillée, j’ai eu l’impression d’avoir été violée. C’était atroce.

— Oh, parfait ! Tout à fait charmant. Tu sais que tu as le pouvoir d’empêcher cette créature de commettre ce genre de violation.

— Je sais. Et maintenant que je sais aussi qui il est, je le ferai. Mais si quelqu’un m’avait prévenue avant-hier qu’un être invisible allait se glisser sous mes vêtements pendant un vol vers La Nouvelle-Orléans, cela ne m’aurait pas servi à grand-chose parce que je ne l’aurais pas cru. Nous savons en tout cas qu’il ne me veut pas de mal. Et à toi non plus, fort probablement. Mais nous ne devons pas oublier qu’il s’en prendra à quiconque cherchera à contrecarrer ses plans. Et cela concerne directement ton ami Aaron.

— Exact.

— Tu as l’air fatigué, Michael. C’est toi qui as besoin d’être ramené à l’hôtel et mis au lit. Si nous y allions ?

Sans répondre, il se redressa sur son siège et se frotta la nuque.

— Il y a quelque chose que tu ne dis pas.

— Quelle chose ? demanda Rowan.

— Je ne le dirai pas non plus.

— Allez ! Dis-le !

— Tu ne veux pas lui parler ? Tu ne veux pas lui demander toi-même qui il est et ce qu’il est ? Tu ne crois pas que tu pourrais communiquer avec lui mieux qu’aucun d’entre eux ne l’a jamais fait ? Peut-être que non. Moi oui. Je veux lui parler. Je veux savoir pourquoi il m’est apparu quand j’étais petit. Et pourquoi il s’est approché si près de moi l’autre soir que j’aurais pu le toucher. Je veux savoir ce qu’il est. Et, quoi qu’en dise Aaron, je suis certain d’être assez, malin pour me faire comprendre de lui, pour le raisonner. C’est peut-être exactement le genre d’égard qu’il cherche à obtenir des gens qui le voient. Il se peut qu’il compte là-dessus. Si tu n’as pas ressenti cela, tu es de loin bien plus maligne et forte que moi. Je n’ai jamais parlé à un fantôme ou à un esprit. Et pour rien au monde je ne manquerais cette occasion, même sachant ce que je sais et ce qu’il a fait à Aaron.

Il se leva, toucha la boîte à bijoux et la fit glisser vers lui. Il l’ouvrit et contempla l’émeraude.

— Allez ! dit-elle. Touche-la.

— Elle ne ressemble pas au dessin que j’en ai fait, chuchota-t-il. En faisant mon dessin, je l’ai imaginée au lieu d’essayer de me rappeler.

Il hocha la tête. Sur le point de refermer le couvercle, il se ravisa, ôta son gant et posa ses doigts sur la pierre.

Elle attendit en silence. Mais elle lut sur son visage la déception et l’angoisse. Il soupira et ferma la boîte.

— Je t’ai vue la mettre autour de ton cou. Et j’étais devant toi.

Il remit son gant.

— C’était au moment où tu es arrivé.

— Je n’ai même pas remarqué que tu la portais.

— Tu as vu autre chose ?

— Seulement que tu m’aimes, dit-il d’une voix faible. Tu m’aimes vraiment.

— Il t’aurait suffi de me toucher pour le savoir.

Il sourit, mais d’un sourire triste et confus. Il enfouit ses mains dans ses poches, comme pour s’en débarrasser, et pencha la tête en avant. Elle attendit un moment, détestant le voir ainsi.

— Allons-nous-en ! dit-elle. Cet endroit te fait encore plus de mal à toi qu’à moi. Rentrons à l’hôtel.

— J’ai besoin d’un verre d’eau. Tu crois qu’il y a de l’eau fraîche dans la maison ? J’ai chaud.

— Je ne sais pas. Je ne sais même pas s’il y a une cuisine. On trouvera peut-être un puits avec un seau couvert de mousse. Ou une fontaine magique.

Il rit doucement.

— Cherchons un peu d’eau.

Se levant, elle le suivit par la porte arrière de la salle à manger. C’était une sorte d’office, avec un petit évier et de hautes vitrines remplies de vaisselle en porcelaine. Il prit son temps en passant devant, comme pour évaluer l’épaisseur des murs.

— Par ici, dit-il en passant la porte suivante.

Il pressa un vieux bouton noir dans le mur. Une lumière blafarde révéla une longue pièce à deux niveaux, la partie haute étant réservée à la cuisine et la partie basse, deux marches en dessous, agrémentée d’une cheminée, étant aménagée pour le petit déjeuner.

Les pièces étaient très propres, démodées mais fonctionnelles.

L’armoire réfrigérante aux immenses et lourdes portes occupait la moitié d’un mur.

— Si tu trouves un cadavre à l’intérieur, je ne veux pas le savoir, dit Rowan.

— Non, il y a juste de la nourriture et de l’eau glacée. Il sortit la bouteille d’eau. Dans le Sud, il y a une bouteille d’eau glacée dans chaque maison.

Il fouilla dans un des placards au-dessus de l’évier et trouva deux verres à moutarde qu’il posa sur le comptoir immaculé.

L’eau fraîche était merveilleuse. Rowan se rappela la vieille femme : sa maison, en fait, son verre, peut-être. Un verre dans lequel elle avait déjà bu, en tout cas. Elle fut prise de révulsion et posa le verre dans l’évier.

Oui, on dirait une cuisine de restaurant, se dit-elle. L’endroit avait été formidablement équipé il y avait très longtemps, à l’époque où l’on avait enlevé le mobilier victorien si prisé maintenant à San Francisco. Tout était en chrome étincelant.

— Qu’allons-nous faire, Michael ? dit-elle.

Il regarda le verre dans sa main puis leva les yeux vers elle. Aussitôt, la tendresse qu’elle lut dans ses yeux lui alla droit au cœur.

— Nous aimer, Rowan. Tu sais, je suis catégorique pour les visions mais je suis tout aussi certain que notre amour ne fait partie d’aucun plan prédéterminé.

Elle s’avança vers lui et glissa ses bras autour de sa taille. Elle sentit ses mains remonter dans son dos et se refermer chaudement et tendrement sur sa nuque et ses cheveux. Il la tint serrée et enfouit sa tête dans son cou avant de l’embrasser tendrement sur les lèvres.

— Aime-moi. Rowan. Fais-moi confiance et aime-moi, dit-il d’une voix à la sincérité émouvante.

Il recula et sembla se retirer un peu à l’intérieur de lui-même. Il prit sa main, entraîna la jeune fille vers la porte-fenêtre et l’ouvrit. Pas de verrou, ni sur aucune autre, fort probablement.

— Est-ce que nous pouvons sortir ? demanda-t-il.

— Bien sûr que nous pouvons. Pourquoi me poses-tu la question ?

Ils pénétrèrent sous un porche bien plus petit que celui où la vieille femme avait rendu l’âme. Ils descendirent les marches en bois menant à l’allée pavée.

— Tout cela n’est pas en si mauvais état, finalement.

— Et la maison ? On peut la sauver ?

— Cette maison ? (Il sourit en hochant la tête, ses yeux bleus étincelant.) Chérie, cette maison sera encore debout bien après que nous aurons quitté ce monde. De ma vie, je ne suis jamais entré dans une maison aussi magnifique.

Il s’interrompit, comme honteux de s’enflammer pour un endroit que la tragédie avait frappé tant de fois.

— Tu l’aimes, n’est-ce pas ?

— Je l’aime depuis mon enfance, dit-il. Je l’aime malgré tout ce qui s’y est passé, malgré le cadavre de la mansarde. Je l’aime parce que c’est ta maison. Elle est magnifique. Elle l’était, magnifique, quand elle a été construite et le sera encore dans cent ans.

Il la prit dans ses bras et elle se colla à lui, se nichant contre lui. Elle le sentit embrasser ses cheveux. Ses mains gantées effleurèrent sa joue. Elle avait envie de lui arracher ses gants mais n’en dit rien.

— Tu sais, c’est bizarre, reprit-il. Pendant toutes ces années en Californie, j’ai travaillé dans bien des maisons. Et je les aimais toutes. Mais aucune ne m’a jamais fait sentir ma mortalité comme celle-ci. Je ne me suis jamais senti aussi petit et mortel. C’est parce que je sais qu’elle sera encore là quand j’aurai disparu.

Ils tournèrent les talons et s’enfoncèrent dans le jardin, trouvant les dalles au milieu des herbes folles. Les bananiers étaient si denses que leurs grandes feuilles leur balayaient le visage.

Une odeur rance leur parvint aux narines, une odeur nauséabonde de marécage. Rowan s’aperçut qu’il y avait une longue piscine. Elle était tellement envahie de verdure qu’on ne distinguait la surface de l’eau que par endroits. Des nénuphars poussaient partout, des insectes invisibles bourdonnaient tout autour, des grenouilles coassaient et l’eau ne cessait de bouger, luisant entre les herbes. On entendait un bruit de suintement, comme si des fontaines alimentaient encore la piscine. En concentrant son regard, Rowan vit les jets déversant un fin filet d’eau.

— C’est Stella qui l’a fait construire, dit Michael. Il y a plus de cinquante ans. C’était une piscine. Le jardin se l’est appropriée. La nature a repris le dessus.

Comme il avait l’air triste ! On aurait dit qu’il voyait confirmé quelque chose qu’il n’avait pu se résoudre à croire. Ce prénom avait frappé Rowan. Dans ses dernières semaines de délire, Ellie avait dit : « Stella dans le cercueil. »

Michael regarda la façade de la maison, son haut pignon au troisième étage, avec ses deux cheminées jumelles se découpant sur le ciel à la lueur de la lune et des étoiles. Les fenêtres carrées tout en haut, la pièce où l’homme était mort et où Antha avait voulu échapper à Carlotta. Elle avait fait une chute vertigineuse, était retombée sur le toit du porche, pour s’écraser sur les dalles.

Elle se pressa plus fort contre Michael et referma ses mains dans son dos, faisant porter tout son poids contre lui.

Elle regarda le ciel pâle et ses quelques étoiles scintillantes puis le souvenir de la vieille femme lui revint et elle fut de nouveau submergée par une impression de mal. Elle repensa à l’expression de la vieille femme au moment de sa mort. Elle repensa à ses paroles et au visage de sa mère dans le cercueil, reposant pour l’éternité sur le satin blanc.

— Qu’y a-t-il, ma chérie ? demanda Michael.

Elle pressa son visage contre sa chemise et recommença à trembler, comme elle l’avait fait par accès toute la soirée. Il la serra plus fort et c’était bon.

Mais elle n’arrivait pas à se débarrasser de cette impression de mal. Le mal semblait présent dans le ciel, dans l’arbre géant courbé au-dessus de sa tête et dans l’eau visible par endroits au milieu des herbes. Non, la nature n’y était pour rien. Le mal était présent en elle et, soudain, elle prit conscience que cette impression ne provenait pas de la vieille femme et de sa malveillance mais d’un fort pressentiment. Les efforts d’Ellie avaient été vains car Rowan avait ce pressentiment depuis fort longtemps. Toute sa vie, peut-être, elle avait su qu’un mystère l’entourait, un grand mystère à multiples facettes, profond, effrayant.

Cette longue journée dans cette ville tropicale embaumée, aux coutumes démodées, lui avait révélé la toute première facette de ce mystère. Il y en aurait d’autres. Ce que la vieille femme lui avait dit n’était qu’un commencement.

Ce grand mystère et moi lirons nos forces des mêmes racines : le bien et le mal. Parce que, en fin de compte, les deux sont indissociables.

— Rowan, partons d’ici. Nous aurions dû nous en aller plus tôt. C’est de ma faute.

— Non, murmura-t-elle, j’aime cet endroit. Pourquoi ne pas rester ? C’est si sombre, si tranquille et magnifique !

L’odeur enivrante de cette fleur revint, celle que la vieille femme avait appelée l’arbre triste.

— Tu sens, Michael ? dit-elle en regardant les nénuphars brillant dans la pénombre.

— C’est l’odeur des nuits d’été à La Nouvelle-Orléans, répondit-il. La même odeur que lorsqu’on se promène seul, en sifflant, en faisant cliqueter les piquets des grilles avec un bâton. C’est l’odeur des promenades nocturnes dans les rues du quartier.

Il baissa les yeux vers elle, essayant de discerner son visage.

— Rowan, quoi qu’il arrive, ne vends jamais cette maison. Même si tu dois t’en aller et ne jamais la revoir, même si tu en viens à la détester. Ne la vends pas. Ne la laisse pas tomber entre les mains de quelqu’un qui ne l’aimerait pas. Elle est trop belle. Elle doit survivre à tout cela, comme nous.

Elle ne répondit pas. Elle ne pouvait lui avouer sa crainte qu’ils ne survivraient pas, qu’ils allaient tout perdre. Puis elle se rappela le visage de la vieille femme, en haut dans la mansarde, là où un homme était mort bien longtemps auparavant : « Tu peux choisir. Tu peux briser la chaîne ! » La vieille femme tentait laborieusement de transcender sa malveillance, sa méchanceté et sa froideur, d’offrir à Rowan quelque chose qu’elle-même percevait comme pur. Et tout ça dans la pièce où cet homme, emmailloté dans un lapis, avait agonisé pendant que la vie continuait dans les pièces du dessous.

— Partons, chérie. Retournons à l’hôtel. J’insiste. Nous allons nous jeter sur le lit et nous y rouler ensemble. Que penses-tu de mon programme ?

— On y va à pied, Michael ? J’ai envie de me promener lentement dans le noir.

— D’accord, mon amour.

Il n’y avait aucune clé pour fermer les portes. Ils laissèrent les lumières allumées et prirent le chemin de la grille rouillée.

Michael ouvrit la voiture et prit une mallette qu’il montra à Rowan. Tout était là-dedans, mais elle ne pouvait pas lire le dossier avant qu’il ne lui ait expliqué plusieurs points. Il lui proposa d’en parler le lendemain matin au petit déjeuner. D’ailleurs, il avait promis à Aaron qu’il ne lui laisserait pas le dossier sans quelques explications préalables. Aaron voulait qu’elle comprenne bien tout.

Elle acquiesça. Elle avait confiance en Aaron Lightner car personne ne pouvait la tromper et, de toute façon, il n’avait aucun intérêt à le faire. Lorsqu’elle repensa à lui, à sa main sur son bras aux obsèques, elle eut le sentiment que lui aussi était naïf, comme Michael. Leur naïveté provenait du fait qu’ils ne voyaient pas la méchanceté chez les gens.

Elle était si fatiguée. Après l’excitation de toute cette journée, elle se sentait fourbue. Jetant un regard en arrière vers la maison, elle pensa une fois encore à la vieille femme, froide, ratatinée, morte dans le fauteuil. Personne ne pourrait jamais comprendre ni venger sa mort.

Michael s’arrêta pour regarder la porte d’entrée. Rowan tira un peu sur sa manche en s’approchant de lui.

— On dirait un grand trou de serrure, tu ne trouves pas ? demanda-t-elle.

Il acquiesça mais semblait loin, perdu dans ses pensées.

— C’est comme ça qu’on appelait ce style architectural : la porte en trou de serrure, murmura-t-il. C’est ce mélange de styles égyptien, grec et italien qu’on affectionnait particulièrement à l’époque de la construction de cette maison.

— Eh bien, le résultat est plutôt bon, dit-elle d’un ton las.

Elle aurait voulu lui parler de la porte sculptée sur la tombe du cimetière mais elle était trop fatiguée.

Ils marchèrent lentement en passant par Philip Street, Prytania et Jackson Avenue. Les maisons et les jardins étaient ravissants. Puis ils prirent Saint Charles, passant devant les boutiques et les bars fermés et les grands immeubles de location. De temps en temps, une voiture les dépassait et un tramway prenait un virage dans un grand bruit métallique, ses fenêtres vides éclairées par une lumière jaune.

Ils firent l’amour sous la douche, s’embrassant et se caressant avec frénésie et maladresse. Le cuir des gants rendait Rowan folle de désir quand il effleurait ses seins nus ou descendait entre ses cuisses. Elle oublia tout : la maison, la vieille femme et la pauvre Deirdre. Il n’y avait plus que Michael, son large torse viril dont elle avait rêvé et son sexe dur entre ses mains.

Lorsqu’ils se mirent au lit, bien réchauffés et secs, l’air conditionné soufflant doucement, Michael retira ses gants.

— Je ne peux pas m’empêcher de te loucher, lui murmura-t-il. C’est plus fort que moi. Raconte-moi comment c’était quand il t’a caressée. Je ne devrais pas te le demander, je le sais. Mais j’ai vu son visage et…

Elle s’enfonça dans l’oreiller, regardant Michael dans la pénombre. Elle aimait sentir le poids de son corps sur elle. Elle ferma sa main droite et frotta les articulations de ses doigts sur la barbe de son menton.

— C’était comme me caresser moi-même, dit-elle d’une voix douce, attrapant la main gauche de Michael pour l’embrasser. (Il se raidit et son sexe se durcit contre la cuisse de Rowan.) Ce n’était pas cette tornade de sensualité que l’on ressent à deux.

Il la couvrit de baisers à lui en faire mal. Elle le laissa faire puis, affamée et réclamant son dû, elle chercha sa bouche.

Elle se réveilla à 4 heures du malin. « C’est l’heure d’aller à l’hôpital. Non. » Michael dormait profondément et ne sentit pas le doux baiser qu’elle posa sur sa joue. Elle enfila le peignoir en éponge qu’elle trouva dans le placard et passa silencieusement dans le salon de la suite.

Tout était désert et tranquille. Elle adorait le calme des rues au petit matin. Rien n’empêchait d’aller y danser à sa guise parce qu’à cette heure-là les feux rouges et les lignes blanches ne comptaient pas.

Elle avait l’esprit clair et se sentait parfaitement bien. La maison l’attendait, mais depuis si longtemps qu’elle pouvait bien patienter encore un peu.

Au standard, on lui dit que c’était trop tôt pour le café mais qu’un certain M. Lightner avait laissé un message pour M. Curry et elle. Il retournerait à l’hôtel plus tard dans la journée et était joignable à la maison de retraite. Elle nota le numéro de téléphone.

Elle entra dans la petite cuisine, trouva du café et s’en prépara une lasse. Elle ferma avec précaution la porte de la chambre et celle donnant sur le petit couloir entre la chambre et le salon.

Où était donc ce fameux dossier des sorcières Mayfair ? Qu’est-ce que Michael avait fait de la mallette ?

Elle fouilla le petit salon aux sièges volantés puis le petit bureau, les placards et même la cuisine. Elle retourna dans la chambre et regarda Michael dormir.

Rien dans la salle de bains.

Malin, très malin. Michael. Mais je vais trouver. Elle l’aperçut alors derrière une chaise.

Petit manque de confiance de sa part, se dit-elle. Elle prit la mallette en surveillant la respiration de Michael et, sur la pointe des pieds, se glissa dans le couloir, ferma les deux portes et posa la mallette sur un guéridon.

Armée de la tasse de café qu’elle s’était préparée dans la cuisine et de cigarettes, elle s’assit sur le canapé et consulta sa montre. 4 h 15.

Elle sortit les chemises, dont chacune portait ce titre étrange : Dossier des sorcières Mayfair. Cela la fit sourire.

— Naïfs, murmura-t-elle. Ils sont tous naïfs. L’homme de la mansarde l’était probablement aussi. Et la vieille femme, cette sorcière dans l’âme ?

Elle alluma une cigarette et se demanda pourquoi elle avait l’impression d’avoir tout compris, contrairement à Aaron et Michael.

Feuilletant rapidement les diverses chemises, elle évalua la taille du manuscrit comme elle le faisait toujours quand elle s’apprêtait à ingurgiter d’une seule traite des textes scientifiques.

Elle en avait pour quatre heures tout au plus. Avec un peu de chance. Michael ne se réveillerait pas avant qu’elle ait fini. Le reste du monde dormait. Elle s’installa confortablement sur le canapé, les pieds nus posés sur le guéridon, et entama sa lecture.

A 9 heures, elle prit le chemin de First Street. Lorsqu’elle arriva au coin de Chestnut Street, le soleil était déjà haut dans le ciel et les oiseaux chantaient à gorge déployée dans la voûte feuillue au-dessus de sa tête. Le croassement strident d’un corbeau troubla un instant ce joyeux concert. Des écureuils sautillaient le long des branches épaisses qui s’étendaient jusqu’au-dessus des grilles et des murs de brique. Les trottoirs propres étaient déserts. Tout le quartier semblait livré à ses fleurs, ses arbres et ses maisons. Même le bruit occasionnel des voitures était absorbé par le calme et la verdure.

Aaron Lightner l’attendait déjà à la porte.

Elle l’avait appelé à 8 heures pour prendre rendez-vous. De loin, elle voyait qu’il était inquiet de sa réaction à ce qu’elle avait lu.

Elle prit son temps pour traverser le carrefour et s’approcha lentement, les yeux baissés, repassant dans son esprit le long récit et tous ses détails.

Lorsqu’elle fut devant lui, elle lui prit la main. Elle n’avait pas préparé ce qu’elle allait dire et savait que ce serait une épreuve pour elle. Mais c’était bon d’être là, de serrer chaleureusement sa main en étudiant l’expression de son visage ouvert et agréable.

— Merci, dit-elle d’une voix qui lui parut faible. Vous avez répondu à toutes les questions qui me tourmentaient concernant ma vie. En fait, vous ne pouvez imaginer ce que vous avez fait pour moi. Avec vos observateurs, vous avez découvert la partie la plus sombre en moi et vous l’avez éclairée. (Elle hocha la tête, tenant toujours sa main dans la sienne, luttant pour poursuivre.) Je ne sais pas comment dire ce que j’ai à dire, avoua-t-elle. Je ne suis plus seule. Je comprends mieux qui je suis.

Elle soupira. Ses mots étaient si vides par rapport aux émotions et au soulagement qu’ils voulaient exprimer.

Il avait l’air étonné et légèrement confus. Elle ressentit sa grande bonté et sa confiance.

— Que puis-je faire pour vous ? demanda-t-il avec une franchise désarmante.

— Entrons dans la maison pour discuter.

Le lien maléfique
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